Et si, pour accélérer les transitions, on partageait nos idées ?
L'open source, un accélérateur de transitions
Cet article reprend des éléments de l’entretien avec Jaime Arredondo du blog Bold & Open. A écouter dans le premier épisode du podcast Les entretiens de la régénération :
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“Arrête de copier”! disait ma voisine de table en primaire en cachant sa feuille.
Au fil de mon parcours scolaire, j’en ai déduit que je ne pouvais m’appuyer que sur mes capacités et connaissances. J’ai donc amélioré ma mémoire et mon esprit de compétition.
J’ai observé ce même état d’esprit dans le monde de l’entrepreneuriat. Combien d’entrepreneurs se cachent et rechignent à partager leurs idées au cas où on les leur “piquerait”?
Pourtant, une bonne idée ne vient pas de nulle part. Elle est le produit de notre éducation, de notre entourage, de nos lectures, de nos expositions aux médias.
Alors pourquoi vouloir absolument apposer notre paternité (maternité ?) à nos idées plutôt que de reconnaître qu’elles émergent d’une longue lignée de personnes - artistes, penseurs, écrivains ou entrepreneurs, dont les travaux nous ont inspiré consciemment ou inconsciemment.
Finalement, une bonne idée est une pensée remixée. Et l’originalité vient de notre capacité à créer quelque chose de nouveau avec de l’ancien.
Partager nos idées pour trouver collectivement des solutions aux grands enjeux de notre siècle
Lorsqu’il s’agit de relever des défis qui mettent en cause la survie de l’humanité, toutes les idées ne sont-elles pas bonnes à prendre ? N’est-il pas plus pertinent de réfléchir ensemble plutôt que chacun dans son coin ?
L’open source pourrait être une piste intéressante pour faciliter ce partage d'idées.
À l'origine, ce terme s'appliquait aux logiciels dont la licence respecte des critères de libre redistribution, d'accès au code source et de création de travaux dérivés. Mis à la disposition du grand public, ce code source est généralement le résultat d'une collaboration entre programmeurs (source Wikipedia).
Aujourd’hui, ce terme peut être utilisé pour désigner toute forme de créations (plans, œuvres artistiques, méthodologie, etc.) dont la mise à disposition est libre, que ce soit pour les utiliser ou les transformer.
Depuis 8 ans, Jaime Arredondo s’est passionné pour ce sujet, qu’il décrypte sur son blog Bold & Open à travers des sujets comme la création de communautés d’utilisateurs et les modèles des entreprises qui excellent dans ces domaines.
Pour lui, un business qui repose sur le partage et la réciprocité vaut mieux que ceux qui utilisent les brevets pour se protéger.
Dans l’entretien que nous avons eu ensemble, j’ai cherché à comprendre l’intérêt de cet état d’esprit pour accélérer les transitions multiples en cours.
Voici les points que j’ai retenus :
Les brevets sont un droit à poursuivre en justice
Quand je parle d’open source à des entrepreneurs, leur première réaction est de parler de l’importance des brevets pour se protéger des pirates et développer leurs entreprises sereinement.
Il est important de se rappeler qu'un brevet ne garantit pas le succès d’une entreprise, et qu’il s’agit d’une protection difficile à appliquer. Il faut avoir les moyens de pouvoir poursuivre en justice toutes les copies, et pouvoir supporter les coûts pour étendre le brevet à d’autres régions géographiques.
Breveter une création, un plan ou une technologie est une des nombreuses stratégies possibles. C’est aussi un argument souvent invoqué par les investisseurs pour empêcher l’entrée de concurrents. Mais il existe d’autres stratégies qui permettent de développer des modèles économiques robustes sans ce besoin de se protéger par tous les moyens.
La stratégie des brevets, gagnante dans une minorité des cas — 97% des brevets perdraient de l’argent ! — nécessite donc de dépenser beaucoup de ressources de l’entreprise qui pourraient être mieux investies avec d’autres mécanismes, notamment de coopération, comme on le verra plus bas.
"Une idée qui réussit va être copiée”
Les meilleures idées sont généralement copiées, même quand elles sont brevetées. Pensons aux smartphones et aux ordinateurs portables. Même si les technologies sont différentes, les designs et les navigations ne sont-elles pas de plus en plus proches ?
Alors plutôt que de vouloir à tout prix empêcher une idée d’être copiée, pourquoi ne pas en profiter pour identifier des opportunités ?
Dans un de ces articles, Jaime écrit :
“Le défi pour les personnes qui créent de la connaissance, que ce soit du contenu, des designs, de l’art, des logiciels ou de la donnée, n’est pas de passer leur temps à courir après les pirates.
Il est plutôt de construire une plateforme de réciprocité, une façon et un endroit pour être payé ou soutenu pour ce qu’elles créent.”
Une stratégie qui mise sur le partage et l’ouverture propose donc d’identifier d’autres modèles économiques et de relations à ses utilisateurs.
L'open source est une démarche extensible
L’open source, c’est permettre à une communauté d’utilisateurs de faire évoluer une technologie pour d’autres usages.
Comme par exemple le projet White Rabbit du CERN qui permet à toute entreprise d’utiliser la technologie développée en interne. Le CERN, institution financée par des fonds publics, peut ainsi amplifier l’effort public et l’utilisation de ses innovations en invitant le secteur privé et associatif à se développer avec eux.
Une autre façon de contribuer à une idée, c’est de pouvoir modifier son design pour diversifier les usages. Il suffit de taper “Ikea Hack” dans Google pour voir l’ampleur de ce mouvement qui consiste à modifier les meubles Ikea pour en créer d’autres.
Alors pour Ikea, quelle serait la meilleure attitude : poursuivre tous les contrevenants qui violent ses brevets ? Ou bien surfer sur cette tendance et identifier de nouveaux modèles économiques ?
Accorder la permission d'améliorer son produit ou son service permet à une entreprise de se développer sur un nouveau marché, en coopérant avec ses utilisateurs.
L’open source est rentable
Des entreprises comme Arduino et Adafruit ont démontré la rentabilité du modèle open source en vendant des kits de développement à leurs communautés d'utilisateurs en plus des contenus en accès libre.
Plus les entreprises partagent gratuitement de la connaissance, plus elles attirent des utilisateurs, et plus elles sont à même d’identifier des leviers économiques.
En effet, lorsqu’on a un grand nombre d’utilisateurs, on peut aisément observer leurs comportements et ainsi proposer des services payants qui ajoutent de la valeur : comme par exemple faire gagner du temps en vendant de nouveaux produits ou des pièces détachées dans le cas d’Arduino.
Il existe un grand nombre de possibilités pour avoir une stratégie open source rentable : comme par exemple, WordPress qui vend des abonnements, Wikipedia qui est soutenu par des dons, Big Blue Button qui reçoit du financement public, ou encore La Fresque du Climat qui vend des ateliers et du conseil.
L'open source permet des gains de coût, mais aussi de personnaliser et de décliner localement une technologie ou des connaissances
Toutes les parties profitent de ces gains de coût :
D’un côté, l’entreprise fait des économies en enrichissant son offre grâce à une multitude de développements complémentaires - comme par exemple Github.
De l’autre côté, les utilisateurs ont accès gratuitement aux connaissances. Quant à la critique qui soutient que c’est une perte de chiffre d’affaires, pensons que ces utilisateurs ne seraient pas forcément clients si l’offre était payante.
En plus de ce gain de coût, les utilisateurs ont la possibilité de décliner les connaissances et les technologies selon leurs contextes, d’utiliser des matériaux locaux et de se réapproprier des savoir-faire.
Comme par exemple L’Atelier Paysan, qui permet à des agriculteurs et agricultrices de concevoir et de fabriquer des machines et bâtiments.
L’open source a besoin d’une communauté active de contributeurs
Comme pour les brevets, partager ses idées en open source ne garantit pas leurs succès.
En effet, qui dit open source, dit communautés de contributeurs actifs. Pouvoir co-développer son entreprise sur un marché et accélérer la diffusion de ses offres, nécessite avant tout d’intéresser les gens et de leur donner envie de “voler” les contenus.
Les entrepreneurs qui ont peur de se faire piquer leurs idées, devraient au contraire les tester en les partageant : si personne ne s’y intéresse, ce n’est pas un très bon signe pour la suite de leur business !
Il ne faut effectivement pas perdre de vue qu’intéresser les gens à ce qu’on fait prend du temps, et construire une communauté se fait pas à pas. Comme tout projet entrepreneurial, il s’agit de faire correspondre son offre à des besoins.
L’avantage de l’open source, c’est que le partage libre de son offre permet un accès plus direct aux utilisateurs. En prenant le temps de dialoguer et de les observer, on peut ainsi améliorer continuellement son offre et faire grandir sa communauté de manière organique.
Et petit à petit, on découvre des opportunités de proposer des versions payantes, ainsi que des incitations à contribuer.
Le Doughnut Economics Action Lab (DEAL), un laboratoire de recherche financé par des mécènes et des fonds publics, donne accès sur sa plateforme à des méthodologies et des formats d’ateliers basés sur la Théorie du Donut. Tous les membres de la plateforme ont la possibilité de proposer des formats complémentaires et des retours d’expérience. Ici, l’incitation à contribuer s’appuie sur la réputation : plus je contribue, plus mes contributions sont valorisées et partagées par le DEAL, et plus je me positionne comme personne expérimentée dans la communauté.
L'open source permet-elle d'accélérer les transitions ?
Pou résumer, décréter que l’open source va nous aider à diffuser nos idées n’est pas suffisant : il y a des stratégies à imaginer (ou à emprunter !) aux entreprises qui réussissent.
Comme l’ont démontré Internet ou la plateforme OpenClassRooms, partager des idées avec le plus grand nombre permet d’augmenter les connaissances, les opportunités, de nouvelles idées et les partages.
Mutualiser les compétences, les savoirs et les technologies permet aussi de résoudre des problèmes de grande ampleur. Comme par exemple l’Extreme Défi de l’ADEME : pour créer une nouvelle filière de véhicules légers intermédiaires entre le vélo et la voiture, l’ADEME n’attend pas que des entreprises privées inondent le marché avec leurs technologies fermées.
Elle préfère favoriser la coopération entre tous les acteurs de la mobilité pour imaginer et accélérer ensemble le développement de nouveaux prototypes.
Reprenons les points clés de cet entretien :
Les brevets sont un droit à poursuivre en justice, pas une garantie de réussite ni de blocage de la concurrence
"Une idée qui réussit va être copiée”
L'open source est une démarche extensible
L’open source peut être rentable
L'open source permet des gains de coût, mais aussi de personnaliser et de décliner localement une technologie ou des connaissances
L’open source a besoin d’une communauté active de contributeurs
Alors si on appliquait cet état d’esprit aux grands enjeux de transitions actuels, que ce soit l’agriculture, l’eau ou les pollutions diverses, est-ce qu’on ne favoriserait pas un foisonnement d’idées à tester, améliorer, adapter, essaimer ?
Tout miser sur les grands groupes et leurs innovations ne nous rendra pas forcément plus résilients.
A contrario, offrir la possibilité à chacun de contribuer et de trouver des solutions - sûrement low-tech, adaptées aux contextes locaux et à moindre coût, pourrait être une clé pour naviguer dans les fluctuations du monde.
Alors, plutôt que de vouloir protéger nos idées, invitons nos collègues et communautés à les diffuser et apprenons ensemble à faire les transitions nécessaires.